Faire le bien
L’expérimentation et l’éthique au Laboratoire de l’innovation d’Emploi et Développement social Canada
En termes simples, être éthique, c’est faire le bien. Au gouvernement du Canada, les Directives relatives à l’expérimentation nous incitent, en tant que fonctionnaires, à faire le bien. Ce que je veux dire, c’est que l’expérimentation dans le but de tester rigoureusement l’efficacité de nos politiques nous offre une occasion importante de nous en tenir à des normes élevées en matière d’éthique dans le cadre de notre travail, avec et pour le public. L’expérimentation fondée sur la méthode scientifique, avec son utilisation de l’attribution aléatoire, la comparaison d’un changement à un groupe témoin et l’autocorrection par itération, est l’une des meilleures méthodes pour vérifier avec confiance si quelque chose fonctionne ou non. J’aime penser que l’expérimentation scientifique est l’un des meilleurs et plus rentables outils de gestion des risques.
Cela dit, lorsque les politiques, les programmes et les services du gouvernement ne sont pas suffisamment mis à l’épreuve avant d’être mis à l’échelle, nous risquons non seulement de gaspiller des ressources limitées, mais aussi d’engendrer des conséquences négatives imprévues pour les Canadiens. Par exemple, le programme « Scared Straight » qui a été mis en œuvre au Canada et aux États-Unis est un exemple classique de ce type de problème. Ce programme comprenait des visites en prison par des jeunes en difficulté, avec l’hypothèse sous-jacente que le fait d’observer la vie en prison et les interactions avec les détenus ferait peur aux jeunes, décourageant ainsi la délinquance. Trois décennies après son lancement, les résultats d’une méta-analyse (anglais seulement) ont révélés que le programme était non seulement inefficace, mais qu’il augmentait probablement la délinquance chez les jeunes qui y participaient.
Si on peut faire le bien grâce à l’expérimentation au gouvernement du Canada, comment pouvons-nous nous assurer que nos expériences sont éthiques? Dans le secteur universitaire, les projets de recherche impliquant des participants humains sont soumis à un examen éthique rigoureux avant leur mise en œuvre. Ces examens sont menés par un comité habituellement composé d’experts en éthique, en droit, de chercheurs et de membres du public. Ces comités sont la pierre angulaire de l’éthique en recherche. Ils fournissent un examen indépendant et approfondi de chaque étape du cycle d’un projet de recherche, cernent les risques et les préjudices potentiels et, au besoin, donnent des conseils sur la façon dont les risques et les préjudices peuvent être éliminés ou réduits au minimum. L’indépendance du comité est essentielle à son efficacité. La même logique qui explique pourquoi les médecins ne peuvent pas se soigner eux-mêmes ou leurs proches s’applique également ici : les chercheurs se tiennent trop près de leur projet, pour ainsi dire, pour l’examiner de façon impartiale. En somme, le rôle du comité d’éthique est de protéger les gens qui participent à la recherche et la légitimité de la science dans son ensemble.
En tant que fonctionnaires, nous pouvons également bénéficier de processus d’évaluation éthique rigoureux qui protègent ceux qui participent à la recherche et à l’expérimentation que nous menons sur les politiques, les programmes et les services du gouvernement. Le ministère de la Défense nationale, Santé Canada et l’Agence de la santé publique du Canada — des ministères qui mènent des recherches et des expériences intensives auprès de participants humains — ont des comités éthique officiels, dotés de lignes directrices claires et qui examinent chaque projet de recherche pour en déterminer l’acceptabilité éthique.
D’autres ministères qui sont nouveaux dans le domaine de l’expérimentation, comme Emploi et Développement social Canada (EDSC), n’en ont pas actuellement. Néanmoins, les comités ministériels de protection de la vie privée et des données fournissent des autorisations pour les projets de recherche en ce qui concerne les questions juridiques et pratiques concernant la protection de la vie privée et la confidentialité. De plus, certains fonctionnaires travaillant pour des ministères qui n’ont pas de comité d’éthique en recherche utilisent diverses stratégies pour assurer la conduite éthique de leurs recherches sur des aspects qui ne sont pas abordés par les comités de protection de la vie privée et des données. À titre d’exemple, certains utilisent des grilles d’évaluation éthique (en anglais seulement) utilisées par des établissements de recherche et consultent des chercheurs universitaires et d’autres collègues formés en éthique de la recherche.
Au laboratoire d’innovation d’EDSC, nous avons cherché à faire un autre pas en avant en élaborant un cadre pour mieux encadrer la recherche éthique dans notre travail. Premièrement, nous avons fait de l’Énoncé de politique des trois Conseils : Éthique de la recherche avec des êtres humains (EPTC-2), un guide suivi par tous les grands instituts de recherche canadiens notre pierre angulaire en matière d’éthique en recherche. Deuxièmement, nous avons produit les documents suivants qui pourraient être utiles à tout groupe menant des recherches auprès du public au sein du gouvernement du Canada (liens en anglais seulement, les versions françaises sont disponibles sur demande):
- a) une charte d’éthique exprimant notre engagement profond à l’égard de l’éthique en recherche;
- b) un guide intitulé Faire la bonne chose : un guide pratique sur l’éthique en recherche au gouvernement qui résume les principales sections de l’EPTC-2 en langage accessible. Il présente une première introduction à l’éthique en recherche pour les fonctionnaires qui n’ont pas encore reçu de formation officielle sur le sujet;
- c) un guide intitulé Cinq principes pour l’éthique en expérimentation et en incitation au gouvernement abordant les préoccupations éthiques communes au sujet de l’utilisation de l’expérimentation et de l’incitation (« nudge ») en particulier;
- d) un tableau de bord facile d’emploi pour aider les fonctionnaires à déterminer si leur projet répond aux critères d’acceptabilité pour la conduite de la recherche éthique.
De plus, le laboratoire est en train d’établir un processus d’évaluation éthique plus formel pour tous ses projets. Les membres du laboratoire devront démontrer qu’ils tiennent compte des questions d’éthique dans tout projet qu’ils entreprennent. Dans le cas des projets présentant un risque plus élevé, ils devront soumettre une proposition d’éthique à un expert universitaire pour un examen externe. Ces procédures supplémentaires sont essentielles étant donné que bon nombre de nos projets de recherche visent des personnes en situation de vulnérabilité (par exemple, des jeunes, des aînés, des personnes à faible revenu).
Enfin, nos efforts pour faire connaître l’importance de l’éthique de la recherche comprennent une exigence selon laquelle les nouveaux membres du laboratoire qui n’ont pas reçu de formation officielle en éthique de la recherche doivent suivre le didacticiel EPTC 2 : Formation en éthique de la recherche (FER) pendant leur orientation. Ce cours gratuit leur permet d’acquérir un langage commun et une compréhension de l’éthique en recherche au Canada.
Bien que les processus et les stratégies susmentionnés soient utiles, ils ne remplacent pas complètement un examen officiel par un comité indépendant. Il est déraisonnable de supposer que nous pouvons prévoir tous les risques potentiels concernant la conduite éthique de nos projets. Nous avons tous des angles morts, c’est ce qu’on appelle être un humain normal, et comme le dit le célèbre proverbe, l’enfer est pavé de bonnes intentions. De plus, à mesure que le besoin et la demande de recherche et d’expérimentation augmentent à l’échelle du gouvernement du Canada, il deviendra impossible de demander aux universitaires d’examiner nos projets.
Et il faut dire qu’un comité d’éthique en recherche nous permettrait d’être plus libres et plus créatifs, d’expérimenter des solutions plus audacieuses et plus novatrices aux défis auxquels nous sommes confrontés. À l’heure actuelle, nous nous retenons peut-être avec le type d’expérimentations que nous conduisons justement parce que nous n’avons pas de mécansime efficace pour la gestion du risque en recherche. Après tout, il est moins ardu de faire le bien lorsqu’il y a un filet de sécurité sous nos pieds.
Jusqu’à ce qu’un comité d’examen de l’éthique officiel soit mis en place dans les ministères qui n’en ont pas actuellement, nous proposons un appel à l’action pour créer un comité d’examen de l’éthique ad hoc bénévole spécial. Ce comité pourrait être composé de fonctionnaires de divers milieux, de chercheurs et de non-chercheurs, et il examinerait des projets de recherche sur des dimensions qui ne sont pas actuellement abordées par les comités de protection de la vie privée et de confidentialité des données. Parmi ces dimensions, mentionnons une évaluation de la justification de la recherche avec des participants humains, le processus de consentement éclairé, la rémunération des participants et une évaluation des risques et avantages potentiels de la recherche. Les documents et les processus comme ceux utilisés par Comité d’éthique de la recherche de Santé Canada et de l’Agence de la santé publique du Canada pourraient être adaptés et utilisés par le Comité pour appuyer leurs évaluations.
Que pensez-vous de l’éthique en recherche gouvernementale et l’expérimentation auprès du public? Si vous menez des recherches ou des expériences avec le public, quelles procédures suivez-vous pour assurer la conduite éthique de vos projets? Pensez-vous que nous avons besoin de comités d’éthique officiels pour examiner les projets de recherche au gouvernement du Canada? Dites-nous ce que vous en pensez.
Article par Emilie, Eve Gravel, Ph.D. (experte d’expérimentation à l’oeuvre).
emilie.e.gravel@hrsdc-rhdcc.gc.ca
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